Le numéro de juillet 2023 de la revue allemande « Unterwegs » intègre un article sur l’Abbaye de Fontcaude, rédigé par Sébastien Pénari (Agence Française des chemins de Compostelle) et membre des Amis de Fontcaude.

Traduction du texte ci-dessous publié dans Unterwegs, juillet 2023, page 45 (pdf)

A la découverte du chemin par l’abbaye Sainte-Marie de Fontcaude

Une abbaye

C’est dans le creux d’un vallon, dans l’arrière pays de Béziers (Hérault),  que se dresse encore le chevet roman de l’église  Sainte-Marie de Fontcaude, vestige d’une ancienne abbaye prémontré. Fontcaude, en languedocien font cauda, signifie la fontaine (chaude), un nom inspiré par la résurgence vauclusienne qui apparaît dans un coin de la petite place du hameau. L’abbaye a été édifiée dans un désert, au centre d’un triangle formé par les trois évêchés de Narbonne, Béziers et Saint-Pons de Thomières. Des chanoines reçoivent donation en 1154 pour fonder une première communauté. Après un conflit, la communauté entre dans l’obédience de l’ordre des Prémontrés en 1180, un ordre fondé quelques décennies plus tôt par saint Norbert, natif de Rhénanie. La Vierge Marie était la patronne principale ; une statuette de la Vierge déjà figurée dans un inventaire de 1352 a été retrouvée lors des fouilles. Le culte à saint Laurent, originaire de Huesca (Espagne) fut probablement introduit à l’abbaye par l’abbé Bernard au XIIème siècle. Une relique y accomplissait des guérisons. Des chapiteaux témoignent aussi d’une dévotion à sainte Catherine d’Alexandrie, mais aussi à saint Jacques. Ce dernier est en effet représenté entouré par deux pèlerins agenouillés et reconnaissables au chapeau, à la besace et à la coquille. Comme une myriade de petites abbayes et prieurés, elle subit les aléas des temps et la commande : en 1524, elle ne comptait que cinq religieux. En 1577, durant les troubles des guerres de religion, elle est attaquée, incendiée, pillée, et les religieux s’enfuient. Elle restera pauvre avec une communauté fort peu nombreuse jusqu’aux péripéties qui, dans la seconde moitié du XVIIIème, siècle conduisent à sa suppression et à la vente des derniers bâtiments devenant alors exploitation agricole et habitations.  

Une histoire humaine

Le sauvetage des ruines de l’abbaye comme l’invention du chemin sont d’abord une aventure humaine. En 1969, des bénévoles s’organisent en association pour racheter ce qui reste de l’église, pour débroussailler le cloître et pour faire des fouilles. L’appartement d’un ouvrier agricole niché dans une chapelle est démoli. On trouve les restes de quelques moines et de nombreux restes des chapiteaux finement sculptés dans un style gothique. L’association s’efforce de racheter méticuleusement les parcelles pour ouvrir le lieu à la visite. Le musée recueille les vestiges de la statuaire et les chapiteaux ; le chevet roman reste debout ; le choeur et la première travée de la nef reçoivent un décor qui évolue toute l’année au rythme du calendrier liturgique. 

Plus tard, c’est une autre aventure qui commence. Un enfant du pays, Jacques Gatorze, passionné d’archéologie se passionne pour « inventer » le chemin parcouru autrefois par les pèlerins, tel que son grand père le lui racontait. Entre rêve de voyages lointains et réalités historiques d’un pays sillonné depuis des millénaires, il trace entre montagne et mer un sentier qu’il  nous dit de « Saint-Jacques ». Il donne bien raison au poète Arthur Rimbaud : « Ce sont les traces qui font rêver ».   

La tradition jacquaire à l’abbaye  

L’abbaye de Fontcaude est implantée dans une terre de passage. Les recherches historiques font apparaître les pèlerins dans un large couloir de circulation : la plaine du bas-Languedoc, entre montagne et mer, entre Nimes, Arles, Béziers, Narbonne et plus loin l’Espagne ou l’Atlantique. Cette plaine est un isthme : les romains y ont tracé la célèbre Via Domitia et fondé la province de Narbonnaise qui sera la porte d’entrée de la civilisation romaine puis de l’expansion du christianisme en Gaule. C’est dans cette plaine qu’on pouvait trouver les pèlerins qui allaient vers Rome, Compostelle, Saint-Sernin à Toulouse, Monserrat, Rocamadour… Dans sa proximité, l’abbaye conservait autrefois une mâchoire de saint Laurent susceptible d’attirer des pèlerins. Un rare chapiteau du XIVème siècle nous y montre un pèlerin portant coquille sur sa besace : il atteste ainsi d’une réalité tangible de circulation des roumieux (en languedocien, le terme désigne les pèlerins de Rome et par extension tous les pèlerins). Ici et là, dans le pays, une confrérie, une statue, une coquille attestent de la dévotion jacquaire.

La fête de saint Jacques  

Depuis 1996, une confrérie désireuse de rappeler la tradition jacquaire de la région a repris naissance. Elle célèbre saint Jacques à travers une programmation culturelle. Cette Fraternité Jacquaire de Septimanie rappelle la tradition jacquaire en Languedoc et dans l’ancien espace occupé par les Wisigoths, la Septimanie, qui s’étirait de Narbonne à Toulouse et Tolède. Son chapitre annuel tous les 25 juillet accueille un public nombreux. Les réjouissances sont l’occasion d’une manifestation culturelle, festive et populaire : une conférence, du chant grégorien, un repas champêtre où les vins sont à l’honneur… 

Durant son chapitre, un rite est perpétué. Le 27 août 1352, les livres et les ornements de l’abbaye furent inventoriés. A la fin de cet inventaire figurait une pièce particulièrement originale : « un autre anneau avec une bande de laiton contenant une pierre précieuse sur laquelle est gravée une image et de couleur rouge, ayant la propriété de préserver de l’ivresse celui qui la porte, même s’il vient à boire exagérément du vin (et vinum immoderate potentes sive libentes…et praedictum vinum non nocere poterit…).  Cette imposition d’un anneau qui protège de l’ivresse se perpétue dans le moment de la soirée qui honore les pèlerins de l’année ou les bienfaiteurs de l’abbaye : une médaille pendante dite de la fontaine d’or est remise aux hôtes de marque d’un soir après un lavement des mains et avant l’imposition sur le front d’une pierre rouge… en souhaitant qu’elle révèle les mêmes propriétés que celle que nous indique le cartulaire ! 

Un itinéraire de liaison entre deux chemins, 66 km, 3 jours 

Sentier muletier, chemin de colportage, itinéraire tracé à travers la garrigue et les vignes pour relier la montagne à la plaine, des châtaigneraies aux rives de la Méditerranée… c’est le chemin par l’abbaye de Fontcaude, jalonné de petits villages languedociens. Il est remarquable par son paysage ou son petit patrimoine. Il est un balcon d’où l’on aperçoit le golfe du Lion. Il est adossé aux derniers contreforts du Massif Central, puis il serpente dans une plaine viticole. Il est jalonné des traces des cultes antiques, il est marqué par l’éternel flux de circulation des hommes et de leurs produits depuis la préhistoire.

Les jacquets d’aujourd’hui arpentent la Via Tolosana – le sentier GR®653-  entre Montpellier, Saint Guilhem le Désert, Saint-Gervais sur Mare et Castres, vers Toulouse. Ils arpentent aussi le chemin du Piémont pyrénéen, en grande partie aménagé, balisé et praticable depuis Béziers vers Carcassonne, Lourdes et St-Jean Pied-de-Port : c’est le GR®78. Le chemin par l‘abbaye de Fontcaude est le sentier GR®78-7 : il relie l’itinéraire d’Arles à partir de Saint-Gervais sur Mare (GR®653) et l’itinéraire du Piémont Pyrénéen (GR®78) à Capestang où Pierre Paul Riquet a percé le Canal du Midi inscrit au patrimoine mondial par l’UNESCO. Ce chemin est balisé en rouge et blanc et il permet une double circulation : vers la montagne ou vers la plaine. Son tracé offre à travers ses villages, ses anciens châteaux, ses églises ou ses paysages, une synthèse de la vénérable histoire de cette province du Languedoc. Les bénévoles de l’abbaye ne sont pas organisés pour accueillir les pèlerins pour la nuitée… mais ils n’oublient pas la tradition d’hospitalité si vous toquez.  

Pratique

Topoguide GR® de Pays « Tours dans le pays Haut-Languedoc et Vignobles »   FFRP – juin 2014

Un reportage sur l’abbaye (en français)

Sébastien Pénari,
Agence française des Chemins de Compostelle

accueil@chemins-compostelle.com
www.chemins-compostelle.com
www.cheminscompostelle-patrimoinemondial.fr

www.jakobus-franken.de